MA TENDRE ENFANCE











CHAPITRE II - L'ECLAIRCIE


Les jumeaux avaient rejoint Francette et tous trois nous attendaient sur le seuil ... Ils me regardaient, se sentaient perdus, ne sachant que faire !

La chaleur avait été pesante en ce mardi d'octobre et nous étions épuisés. Je n'avais que 10 ans mais j'étais l'aînée et, déjà, je savais prendre une décision :

-" Asseyez-vous tous, vous allez goûter ; "

Docilement, ils m'obéirent.

Pendant que je tartinais de larges tranches de pain de campagne avec une confiture odorante Francette, en montant sur une chaise, avait saisi dans le placard de bois blanc les verres dépareillés dont nous nous servions habituellement. Un grand pot d'eau fraîche nous attendait et nous bûmes avidement.

Ma mère avait ôté son voile de deuil et nous regardait d'un oeil absent :

-" Nous sommes là, fis-je d'une voix plaintive, nous avons besoin de toi ... "

Elle parut sortir d'un rêve et son regard humide nous détailla l'un après l'autre ; puis, elle essaya un sourire hésitant qui fut pour moi comme une éclaircie après la tempête, un peu de baume sur mon coeur endolori :

-" Je sais ... "

-" Veux-tu t'allonger un peu ? Je m'occupe de tout ... "

-" Quelle heure est-il ? "

Juste à ce moment la grosse horloge en chêne verni sonna insolemment 6 coups joyeux qui résonnèrent dans la cuisine silencieuse.

-" Il faut faire la soupe Odile, me dit-elle simplement, va prendre des légumes au jardin ... "

Son visage avait perdu sa passivité. Je la retrouvais ... Elle se leva doucement, nous embrassa et d'un pas incertain se dirigea vers la porte de la salle-à-manger. Lentement, elle tourna la poignée et descendit la marche libérée par l'ouverture du battant.

Je la rejoignis rapidement et la devançai dans la pièce. En un éclair, je remarquai que la voisine avait tenu parole : le cosy avait repris sa place et s'apprêtait, comme tous les soirs, à recevoir les corps fatigués sur sa housse écossaise bien tirée ... Plus aucune trace du drap blanc : elle avait dû l'emporter ... Disparus également le brin de laurier et sa coupelle d'eau bénite ... Elle avait ouvert les volets et, de nouveau, la clarté et le soleil couchant envahissaient les lieux. Un rayon s'était posé sur le buffet Henri II : un héritage dont nous étions très fiers ; c'était notre seul meuble luxueux et nous l'encaustiquions régulièrement ; malgré ses pieds vermoulus, je le trouvais imposant et splendide .

Je repris le bras de ma mère et l'entrainai doucement vers la fenêtre :

-" Regarde, le rosier est superbe ; demain j'oterai les fleurs fanées, il y a encore tellement de boutons prêts à éclore ... "

L'arbuste s'étirait le long du puits et ses branches flexibles s'alanguissaient sur son toit en pierres plates, le recouvrant presque totalement d'une imposante moisson odorante dont les effluves parvenaient jusqu'à nous.

Je parlais du présent pour lui faire un peu oublier le passé ... Elle ne fut pas dupe mais eut le courage de refouler une nouvelle fois ses larmes ...

-" Occupe-toi des légumes ... j'arrive ! "

Elle se redressa, posa sur le coin du buffet son sac, son voile tout neuf, ses gants rendus transparents par l'usure et me suivit à la cuisine. En un tour de main, elle enfila sur sa robe noire son tablier à fleurs bien enveloppant et sans lequel elle ne savait rien faire, glissa ses pieds fatigués dans ses pantoufles grises ... Enfin, elle réagissait ! Elle reprenait les rênes de notre vie disloquée pour continuer la route malgré les embûches !

Mon père venait de nous quitter en la laissant seule avec 6 enfants et elle n'avait que 32 ans !




Commentaires

Pol Ernaz a dit…
Et j'attends la suite avec avidité et quelque impatience...

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