MA TENDRE ENFANCE


Chapitre III - FACE A LA VIE -

2° Partie


Comme je les revois ces énormes lessives prévues tout au plus une fois par mois, et lorsque le temps le permettait ... C'était alors le jour de la "laveuse" ; la nôtre se prénommait "Noëlie" : elle travaillait pour quelques sous et ses repas de la journée !

Avec le recul, j'imagine aujourd'hui la pénibilité de son travail ... Dans chaque maison de la commune elle s'arrêtait "à la demande" ... je la revois, vêtue d'un grand tablier noir, chaussée de sabots, le dos courbé sous la charge, les doigts rouges et gercés à longueur d'année ! Quel âge avait-elle ? Quelle était sa vie ?...

La veille du jour fixé, nous avions préparé dans un coin du jardin suffisamment de petit bois pour entretenir le feu sous le large trépied qui allait supporter l'énorme lessiveuse de fer battu ! Le matin même, très tôt, maman faisait bouillir l'eau dans celle-ci et la remplissait du linge en attente, en y ajoutant cendres et copeaux de savon noir !

Noëlie arrivait alors avec sa brouette et, après un petit déjeuner rapide, surveillait l'ébullition en pressant le linge avec une longue batte de bois ... L'odeur de savon s'échappait dans des nuages de vapeur brûlante ... Mais, le plus dur était à faire : certes, le linge avait bouilli mais il restait à frotter les taches incrustées et surtout, il restait le rinçage qui était un vrai parcours du combattant ...

C'est à ce moment que la brouette intervenait : en s'aidant de la batte, Noëlie y entassait les draps de métis, les serviettes de toilette en lourde éponge ainsi que tous nos vêtements habitués à ce traitement ! Maman lavait " à la main" les tissus les plus fragiles , les gilets bigarrés et les chaussettes à côtes qu'elle tricotait ... lorsqu'elle avait le temps !

Ce linge empli d'eau était extrêmement pesant, le lavoir éloigné et le trajet comportait des pauses nécessaires ... Lorsque la lessive "tombait" un jeudi, il nous arrivait de l'accompagner et de la regarder travailler ! Elle s'agenouillait sur un socle de bois fermé sur 3 côtés et contenant de la paille comme ceux de ses compagnes déjà "à l'oeuvre" ... Elle étendait dans l'eau (glacée selon la saison) une pièce de linge retirée de la brouette ; puis elle la tournait, la retournait, la giflait de son battoir, tout cela avec une vivacité étonnante ! Les "laveuses" se mettaient à deux pour essorer les draps si difficiles à manipuler... Ces opérations prenaient plusieurs heures et se terminaient aux environs de midi !

Il fallait ensuite faire le trajet en sens inverse pour procéder à l'étendage ce que nous faisions après le repas comportant en général choux et pommes de terre cuits avec un morceau de lard que nous nous partagions, le regard brillant ... Parfois, nous terminions par de petites galettes faites à base de la crème du lait bouilli et récupérée chaque matin au moment du petit déjeuner ; ces galettes étaient excellentes et très nourrissantes par la même occasion ! A cette époque, rien n'était perdu ...

Sans plus attendre, nous nous partagions le travail de l'après-midi : la vaisselle pour les filles, l'étendage du linge par les grandes personnes aidées par les petites mains des garçons : c'était à eux de "passer" les pinces à linge et les pièces les plus petites ... puis, après une "chicorée" brûlante et un "en-cas", notre laveuse repartait, poussant sa brouette devenue plus légère, en espérant son gagne-pain du lendemain !







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